La procréation assistée : l’utilisation du matériel génétique après une séparation
Depuis la naissance du premier bébé issu de la fécondation in vitro (FIV) il y a 40 ans, le recours à la procréation assistée a augmenté de façon importante en raison des progrès de la technologie médicale. Or, le droit n’a pas évolué au même rythme que celui de la médecine et de la société. Récemment, une série de décisions provenant d’un bout à l’autre du pays met en évidence le besoin d’une réforme du droit et l’incertitude que vivent les personnes ayant recours à du matériel génétique obtenu de donneurs pour fonder leur famille.
Plus tôt cette année, la Cour d’appel de l’Ontario a rendu sa décision dans l’affaire S.H. v. D.H., 2019 ONCA 454 (« S.H. »), la première cause traitant de l’utilisation d’un embryon (pour lequel ni l’une ni l’autre des parties n’a fourni de matériel génétique) après la séparation du couple. Dans cette affaire, le couple avait eu recours pendant le mariage aux services d’un laboratoire aux États-Unis pour la création in vitro de quatre embryons. Ces embryons ont été créés à partir du matériel génétique provenant de donneurs de sperme et d’ovules. Ni l’un ni l’autre des époux n’avait fourni de matériel génétique à cette fin. Un bébé est né d’un de ces embryons pendant le mariage, mais les parties se sont séparées peu de temps par la suite. Après la séparation, l’épouse a souhaité utiliser le dernier embryon afin que son enfant né pendant le mariage ait un frère ou une sœur biologique, ce à quoi l’époux s’est opposé.
Le juge de première instance s’est prononcé sur la base des deux contrats conclus entre les parties, l’un avec la société américaine qui a créé les embryons et l’autre avec la clinique ontarienne spécialisée dans le traitement de la fertilité. En se fondant sur le contrat ontarien, lequel prévoyait que la volonté de la patiente (définie comme étant l’épouse) devait être respectée relativement à l’utilisation des embryons advenant la rupture du mariage, la Cour a autorisé l’épouse à utiliser l’embryon à condition qu’elle rembourse la moitié des coûts de création de l’embryon à son ex-conjoint. Ce dernier a porté l’affaire devant la Cour d’appel de l’Ontario.
La décision du juge de première instance dans la cause S.H. reflète une décision antérieure de la Cour suprême de la Colombie-Britannique rendue dans l’affaire M.(J.C.) v. A.(A.N.), 2012 BCSC 584 (« M.(J.C.) »). La Cour devait alors déterminer laquelle des conjointes du couple de même sexe disposait de l’autorité pour donner les directives quant à l’utilisation après la fin du mariage des 13 paillettes de sperme achetées d’un donneur pendant leur mariage. Le motif de la conjointe souhaitant conserver les paillettes pour utilisation ultérieure était le même que celui de l’épouse dans la cause S.H., soit que l’enfant né pendant le mariage puisse avoir un frère ou une sœur biologique. La décision de la Cour suprême de la Colombie-Britannique est fondée sur les principes relatifs à la propriété et aux contrats, les paillettes ayant été divisées à raison de sept paillettes à une conjointe et de six à l’autre, l’une des conjointes étant tenue de payer à l’autre une demi-paillette à titre de compensation de la différence.
Dans l’affaire S.H., la Cour d’appel de l’Ontario recourt à une approche n’ayant pas été contestée par l’une ou l’autre des parties en première instance. Elle formule une analyse réfléchie et exhaustive sur le recours au principe de consentement du Règlement sur la procréation assistée (le « Règlement ») pris en application de la Loi sur la procréation assistée, L.C. 2004, ch. 2 (la « LPA »). Selon les dispositions relatives au consentement du Règlement, le « donneur » s’entend des personnes qui forment un couple d’époux ou de conjoints de fait au moment de la création in vitro de l’embryon, même si aucun des deux ne fournit de matériel génétique utilisé pour cette création. Par conséquent, l’homme du couple était un donneur au sens du Règlement et les dispositions relatives au consentement autorisent le donneur à retirer son consentement avant l’utilisation de l’embryon. La Cour d’appel de l’Ontario conclut que « le droit incontestable [de l’homme du couple] de retirer son consentement a préséance sur toute autre entente contractuelle à l’effet contraire et constitue un fait juridique. »
À première vue, les décisions respectives dans les causes S.H. et M.(J.C.) semblent contradictoires. En réalité, la différence est que la définition de donneur (correspondant aux deux époux, bien que ni l’un ni l’autre n’ait fourni de matériel générique), lorsqu’elle s’applique à la création d’un embryon, a une portée plus large que celle utilisée en lien avec les paillettes de sperme, où ni l’un ni l’autre des époux n’est considéré comme étant un donneur au sens de la LPA.
Les personnes envisageant la procréation assistée doivent retenir que les modalités contractuelles ont leurs limites. En matière d’utilisation du matériel humain en vue de la procréation, en particulier pour la création d’embryons, le régime canadien est fondé sur le consentement. Les parties contractantes doivent être conscientes du fait que le consentement de chacune des parties sera toujours requis pour l’utilisation d’embryons par l’une ou l’autre d’entre elles après une séparation.
Étant donné qu’il s’agit d’un domaine du droit en pleine évolution, les donneurs de gamètes, les parents destinataires et les mères porteuses devraient faire appel à un avocat pour s’assurer d’avoir bien compris leurs droits et leurs obligations avant d’établir un lien contractuel pour l’obtention de matériel reproductif humain.