Détection de l’affaiblissement des facultés en milieu de travail
La légalisation du cannabis a accru l’inquiétude et la sensibilisation au sujet de l’affaiblissement des facultés en milieu de travail. La légalisation a certainement rendu le cannabis plus accessible. Toutefois, il est encore généralement admis qu’il n’est pas approprié de se présenter au travail avec des facultés affaiblies à moins que l’employé ne fasse partie d’une entente d’accommodement où un certain niveau de facultés affaiblies est permis, ou que l’employé ne travaille dans un milieu de travail tout à fait particulier.
Soyez assurés que la légalisation du cannabis n’a rien changé en ce qui concerne l’affaiblissement des facultés en milieu de travail; la législation sur la santé et la sécurité au travail continue d’imposer aux employeurs et aux employés une obligation conjointe d’assurer la sécurité de tous au travail, et les lois sur les droits de la personne continuent d’exiger que les employeurs prennent des mesures d’adaptation pour les personnes malades ou handicapées, à condition qu’ils ne subissent pas de contraintes excessives, notamment pour les personnes à qui on a prescrit du cannabis à titre médical (ou tout autre médicament sur ordonnance).
Certains employeurs peuvent craindre que la légalisation n’augmente le nombre d’employés avec des facultés affaiblies au travail. Cette préoccupation peut être justifiée, surtout parce qu’il existe encore une incertitude quant à la durée de l’affaiblissement causé par le cannabis. Une récente décision arbitrale rendue à Terre-Neuve-et-Labrador le souligne. Dans Re Lower Churchill Transmission Construction Employers’ Association Inc. and IBEW, Local 1620 (Tizzard) (2018), 136 C.L.A.S. 26, l’arbitre a fait référence à plusieurs autorités médicales et a conclu (i) que l’affaiblissement des facultés pouvait durer plus de 24 heures après la consommation, (ii) qu’il était possible qu’un employé ait les facultés affaiblies et ne le sache pas, et (iii) qu’il n’y avait simplement aucun moyen fiable pour l’employeur de savoir si un employé avait des facultés affaiblies. En raison de cette incertitude, l’arbitre a conclu que l’employé, qui occupait un poste essentiel pour la sécurité et à qui on avait prescrit du cannabis à des fins médicales, ne pouvait être accommodé. La décision de l’arbitre a été confirmée par la Cour suprême de Terre-Neuve-et-Labrador.1
Il n’est pas certain que cette affaire donne lieu à des décisions semblables dans d’autres provinces. Ce ne sera probablement pas le cas pour les postes non critiques pour la sécurité, car l’obligation d’accommoder les personnes à qui l’on prescrit des médicaments pour des maladies, quelles qu’elles soient, est généralement assez stricte. Ce qui est certain, cependant, c’est que d’autres études sont nécessaires pour mieux comprendre les effets du cannabis. Entre-temps, les employeurs et les employés devraient s’informer sur les signes typiques d’affaiblissement des facultés afin d’assurer la sécurité de tous sur le lieu de travail. Cet article se concentre sur le cannabis, mais certains de ces conseils pourraient être modifiés pour s’appliquer à presque toutes les substances nuisibles.
Signes d’affaiblissement des facultés
Les signes courants d’affaiblissement des facultés liés au cannabis comprennent des anomalies dans les domaines suivants :
- apparence (p. ex., yeux injectés de sang),
- odeur (c.-à-d. odeur de cannabis),
- comportement (c.-à-d. bruyant, inapproprié, facile à mettre en colère, anxieux, déprimé ou maussade),
- coordination ou contrôle moteur (démarche instable, maladresse, tremblements),
- parole (c.-à-d. difficultés d’élocution)
- mémoire (c.-à-d. difficulté à se souvenir d’événements récents ou difficulté à se concentrer),
- santé (c.-à-d. signes de maladie physique, vomissements).
Si l’une de ces anomalies est remarquée et ne correspond pas au comportement normal d’un employé, il est probablement approprié de lui demander, en privé, si ses facultés sont affaiblies ou s’il existe une autre raison pour laquelle ses facultés semblent être affaiblies. Informez la personne que la principale préoccupation est la sécurité, puis posez-lui certaines des questions suivantes :
- Avez-vous déjà consommé une forme quelconque de cannabis dans le passé? Dans l’affirmative, à quelle fréquence, à quelle date (la plus récente) et quelle quantité? (Une consommation récente indiquerait une plus grande probabilité d’affaiblissement des facultés. Cependant, la façon dont le cannabis est consommé influe sur la rapidité avec laquelle les effets se font sentir.)
- Comment consommez-vous normalement le cannabis? (Les recherches indiquent que le fait d’ingérer le cannabis entraîne un état « high » retardé et moins aigu, mais plus durable que le fait de le fumer).
- Vous procurez-vous le cannabis d’une source fiable/légale? (Les producteurs légaux doivent respecter des directives strictes en matière de santé et de sécurité, et les sources légales divulguent les niveaux de THC dans leur cannabis – le THC est l’ingrédient psychoactif du cannabis).
- Connaissez-vous le taux de THC dans votre cannabis? (Plus le taux de THC est élevé, plus les effets d’affaiblissement sont aigus; certaines souches de cannabis peuvent ne pas contenir de THC du tout.)
- Prenez-vous du cannabis avec d’autres substances? (En général, lorsque le cannabis est consommé en conjonction avec d’autres substances nuisibles, il suffit de moins de chacune des substances pour affaiblir les facultés.)
Méthodes de dépistage courantes
Certaines politiques en milieu de travail permettent le dépistage de drogues dans certaines situations. Les tests les plus courants sont les tests effectués à la suite d’un accident et les tests pour « motifs raisonnables » (les conseils ci-dessus aident à déterminer s’il y a des motifs raisonnables de le faire). Comme nous l’avons déjà mentionné, le test d’affaiblissement des facultés demeure un sujet délicat. Toutefois, certains tests se sont révélés efficaces pour détecter l’affaiblissement des facultés, et de nouvelles méthodes de dépistage continuent de voir le jour.
Les méthodes courantes comprennent les tests d’urine, de sang, de cheveux et de salive. Parmi eux, le frottis salivaire tend à être le moyen préféré pour dépister le cannabis. En effet, les métabolites du cannabis ont tendance à se disperser plus rapidement dans la bouche que dans les autres parties du corps. Ainsi, un test de salive positif indique une consommation plus récente, ce qui, à son tour, indique une plus grande probabilité d’affaiblissement actuel. Le THC peut s’accumuler dans l’organisme en fonction de la fréquence de consommation et de la concentration de THC dans le cannabis consommé. Les tests de sang, de cheveux et d’urine permettent de détecter cette accumulation, ce qui remet en question le fait qu’un test positif indique un affaiblissement actuel. Les tests de sang, de cheveux ou d’urine positifs peuvent tout de même fournir la preuve d’un affaiblissement s’ils sont couplés à des signes d’affaiblissement des facultés observés et/ou à un accident ou quasi-accident. Les employeurs doivent établir des seuils appropriés de ce qui constitue un résultat positif selon la méthode de dépistage choisie. Soyez conscient du fait que plus le seuil est bas, moins il est probable qu’un test positif indique un affaiblissement actuel. Une récente décision arbitrale en matière de droit du travail de la Colombie-Britannique a statué qu’un test d’urine positif pour la présence de cannabis n’établit que la consommation passée et non pas un affaiblissement actuel (voir Teck Coal Ltd. et USW, Local 7884, Re,[2018] B.C.C.A.A.A. No. 6, 134 C.L.A.S. 126, aux paragraphes 376 et 378). Dans ce cas, le seuil pour un test positif était simplement la présence de métabolites du cannabis, et l’arbitre a annulé la politique de dépistage de l’employeur. La légalisation du cannabis n’a pas changé le droit de l’employeur d’imposer à ses employés des tests de dépistage des drogues. Les tests qui nécessitent une prise de sang ou le prélèvement de cheveux sont considérés comme hautement invasifs et sont plus susceptibles de porter atteinte au droit à la vie privée d’une personne.
Certains tests de sobriété traditionnels se sont révélés efficaces pour détecter les facultés affaiblies par le cannabis. Une étude2 a indiqué que 96,7 % des personnes qui ont consommé du cannabis récemment échouent à au moins deux des épreuves suivantes :
- se tenir sur un pied et compter à rebours en gardant le pied en l’air;
- se tenir debout les yeux fermés et estimer le passage de 30 secondes;
- se toucher le bout du nez six fois, trois fois avec l’index de chacune des deux mains;
- faire une série de pas du talon aux orteils de la façon prescrite.
De nouvelles technologies sont également utilisées pour détecter l’affaiblissement des facultés, et elles ne reposent pas sur le prélèvement d’échantillons corporels. Une appli de téléphone intelligent appelée « Druid »3 fonctionne essentiellement comme un test de sobriété de terrain que les personnes peuvent s’administrer elles-mêmes. Le test de l’appli Druid exige consiste à suivre du doigt un point sur l’écran de son téléphone intelligent. L’utilisateur de l’appli commence par faire plusieurs fois le test pendant qu’il est sobre afin d’établir une norme. Les tests ultérieurs sont mesurés par rapport à cette norme pour indiquer si l’utilisateur a les facultés affaiblies. L’avantage d’un test comme Druid est qu’il permet de dépister l’affaiblissement des facultés de n’importe quelle source — manque de sommeil, médicaments, alcool, cannabis, etc.
Leçons pour les employeurs et les employés
Nous vivons une époque passionnante pour le Canada, car nous nous trouvons en terrain essentiellement inconnu. Le Canada a fait un grand pas vers l’élimination de la stigmatisation liée à la consommation du cannabis, et de nombreux autres pays envisagent de faire de même. Dans un sens, le monde nous observe. Bien que notre compréhension des effets du cannabis continue de croître, nous devons donner l’exemple en faisant la promotion d’une consommation responsable et en gardant la sécurité à l’esprit en reconnaissant les points clés suivants :
- La durée et l’intensité de l’affaiblissement des facultés par le cannabis dépendent de nombreux facteurs. La recherche a démontré que :
- l’affaiblissement des facultés peut durer plus de 24 heures.
- la consommation de grandes quantités de cannabis et/ou de cannabis à forte teneur en THC (plus de 10%) entraîne des périodes d’affaiblissement des facultés prolongées.
- le fait d’ingérer le cannabis entraîne un état « high » retardé qui dure plus longtemps, tandis que le fait de le fumer entraîne un état « high » plus aigu et de plus courte durée. L’affaiblissement des facultés suivra ce même modèle.
- Il ne faut acheter le cannabis qu’auprès de sources légales pour s’assurer qu’il respecte les normes de santé et de sécurité.
- Si vous consommez du cannabis à des fins récréatives, songez à surveiller votre consommation et à effectuer des tests de sobriété physique en utilisant la technologie disponible pour comprendre comment le cannabis peut vous affecter.
- Sachez reconnaître les signes d’affaiblissement des facultés afin que vous puissiez éviter les accidents en milieu de travail.
Soyez prudents!
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1 International Brotherhood of Electrical Workers, Local 1620 c. Lower Churchill Transmission Construction Employers’ Association Inc., 2019 NLSC 48 (CanLII), en ligne : https://www.canlii.org/en/nl/nlsc/doc/2019/2019nlsc48/2019nlsc48.html?searchUrlHash=AAAAAQAHdGl6emFyZAAAAAAB&resultIndex=1.
2 Patrick Cain, Simple roadside tests can identify pot-impaired drivers, study shows, Global News, en ligne : https://globalnews.ca/news/3308435/simple-tests-can-identify-pot-impaired-drivers/.
3 Appli Druid, en ligne : https://druidapp.com/.