Une décision de l’Agence du revenu du Canada contestée avec succès dans le cadre de l’affaire Pomeroy’s Masonry Limited v. P.G. Canada

24 November 2017

En vertu du paragraphe 164(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, une société doit produire sa déclaration de revenus dans les trois années suivant la fin de l’année d’imposition pour avoir le droit de recevoir un remboursement d’impôt, si une telle éventualité devait s’appliquer après l’examen du dossier par l’Agence du revenu du Canada (ARC). La rigueur de la prescription du droit au remboursement d’impôt pour les sociétés si une déclaration de revenus n’a pas été produite dans les trois années suivant la fin de l’année d’imposition a fait l’objet de commentaires depuis quelques années, notamment dans le cadre d’une communication écrite récente de CPA Canada adressée au ministère des Finances.

Lorsque un droit au remboursement est prescrit en vertu du paragraphe 164(1), le seul recours d’une société contribuable est de demander à la ministre du Revenu national, suivant l’article 221.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, de prendre les sommes dues dans le compte d’impôt sur le revenu de la société qui ne peuvent être remboursées par un paiement et de les appliquer à titre de crédit sur une autre dette fiscale payable ou qui deviendra payable par la société, c’est-à-dire appliquer ce crédit fiscal aux dettes fiscales de la société qui découlent de l’impôt sur le revenu, de la taxe sur la masse salariale ou de la TVH. Le succès ou l’échec d’une telle demande en vertu de l’article 221.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu est laissé à la discrétion de la ministre du Revenu national.  En d’autres mots, les contribuables faisant cette demande n’ont pas le droit d’obtenir les remboursements prescrits restitués à titre de crédit d’impôt.

La plupart des contribuables savent que, s’ils sont admissibles à recevoir un remboursement d’impôt qui n’est pas prescrit alors que d’autres dettes fiscales demeurent impayées, l’ARC ne leur enverra pas un remboursement d’impôt. En ce cas, l’ARC appliquera automatiquement ce remboursement autrement payable au contribuable aux dettes fiscales impayées. Pourquoi une telle mesure ne serait-elle pas aussi applicable aux remboursements d’impôt prescrits? Au cours des dernières années, l’ARC a adopté une politique restrictive entourant les situations dans le cadre desquelles elle utilisera son pouvoir discrétionnaire d’accorder le crédit d’impôt aux contribuables.

Le scénario commun

Pour les sociétés, le problème du remboursement d’impôt sur le revenu prescrit peut survenir lorsqu’une société ne produit pas sa déclaration de revenus à temps et reçoit une « cotisation arbitraire » de la part de l’Agence du revenu du Canada.  Les cotisations arbitraires par la ministre sont un élément nécessaire du système d’autocotisation de l’impôt sur le revenu pour traiter les dossiers des contribuables qui ne produisent aucune déclaration de revenus. Naturellement, la ministre a le droit de percevoir les impôts qui sont imposés en vertu d’une cotisation arbitraire.  Cependant, lorsqu’une cotisation arbitraire est émise, le contribuable dispose d’un délai de trois ans à partir de la date de la cotisation arbitraire (et non de la fin de l’année d’imposition) pour produire une déclaration de revenus afin de demander que la ministre émette un nouvel avis de cotisation pour l’année concernée. De façon générale, cette « période normale de cotisation » au cours de laquelle une déclaration de revenus peut être produite ne sera pas plus longue que la période dont la société dispose pour produire une déclaration et avoir droit à un remboursement.

Pomeroy’s Masonry (représentée par Cox & Palmer)

Pomeroy’s Masonry Limited est une petite entreprise qui était en retard dans la production de ses déclarations de revenus pour les années d’imposition 2006, 2007 et 2008.  La ministre du Revenu national a utilisé les pouvoirs prévus dans la Loi de l’impôt sur le revenu pour procéder à des cotisations arbitraires et a demandé le paiement d’impôts sur le revenu, d’intérêts et de pénalités à la société, le tout pour un total de presque 100 000 $. Par la suite, l’ARC a perçu plus de 100 000 $ par l’entremise de paiements de Pomeroy’s et de sommes saisies auprès de tiers ayant des dettes envers cette dernière et a appliqué ces fonds pour payer les sommes dues aux termes des cotisations arbitraires.  Lorsque Pomeroy’s a produit sa déclaration de revenus en 2012, elle était toujours dans la « période normale de cotisation » pour les années d’imposition 2007 et 2008. L’ARC a réévalué les années 2007 et 2008 sur la base des déclarations de revenus fournies en retard et a jugé que Pomeroy’s n’avait aucun revenu imposable pour ces deux années; ce faisant, l’ARC a annulé tous les impôts, tous les intérêts et toutes les pénalités qui avaient été auparavant cotisés pour ces années.  Il y avait également une perte de report rétrospectif afin de réduire l’impôt payable en 2006.  Cependant, tout remboursement d’impôt qui aurait dû autrement découler des nouvelles évaluations était prescrit en vertu du paragraphe 164(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu.

L’ARC a restitué 55 000 $ du remboursement d’impôt prescrit en tant que crédit vu le fait que l’ARC avait perçu cette somme dans le compte de taxes sur la masse salariale de Pomeroy’s, mais avait erronément appliqué cette somme à titre de paiement de sa dette d’impôt sur le revenu des sociétés évaluée aux termes de ses cotisations arbitraires. En ce qui a trait aux 45 000 $ restants de remboursements prescrits, la ministre a refusé la demande de Pomeroy’s d’appliquer cette somme aux arrérages de TVH de l’entreprise. En vertu de sa politique, qui est maintenant incluse dans le formulaire de l’Agence du revenu du Canada pour les demandes aux termes de l’article 221.2, l’ARC a imposé le fardeau de preuve à Pomeroy’s, qui devait démontrer [TRADUCTION] « des circonstances extraordinaires hors du contrôle du contribuable », telles qu’une inondation, un incendie ou une maladie sérieuse, l’ayant empêché de produire ses déclarations revenus à temps.

En raison du fait que Pomeroy’s n’avait pas fourni une justification adéquate expliquant la raison pour laquelle l’entreprise n’avait pas produit ses déclarations de revenus avant que le remboursement soit prescrit en vertu du paragraphe 164(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, la ministre du Revenu national a refusé d’appliquer la somme approximative de 45 000 $ de remboursements prescrits aux arrérages de TVH de Pomeroy’s. Sans cette restitution, les remboursements d’impôt prescrits de Pomeroy’s étaient effectivement perdus alors que Pomeroy’s avait toujours l’obligation de payer les arrérages de TVH.

Décision

Dans sa décision, le juge Southcott a conclu que le refus de la ministre était déraisonnable, puisqu’elle n’a considéré aucun autre facteur relié à la demande de Pomeroy’s en dehors de la présence de « circonstances extraordinaires ». Plus spécifiquement, quant à la demande de Pomeroy’s, il n’y avait aucun indice selon lequel la ministre avait considéré l’explication de Pomeroy’s quant aux difficultés financières qui seraient causées à l’entreprise par un refus d’appliquer les remboursements d’impôt sur le revenu prescrits à sa dette de TVH ou quant à la possibilité que l’entreprise ne puisse pas payer cette dette si les remboursements prescrits n’étaient pas restitués à cette fin.

Selon Pomeroy’s, il y avait d’autres facteurs soumis au tribunal dont la ministre n’avait pas tenu compte dans cette affaire. Un des principaux facteurs invoqués était que les très hauts revenus attribués à Pomeroy’s suivant les avis de cotisations arbitraires n’avaient aucune commune mesure avec les revenus déclarés dans les autres années d’imposition. Dans sa décision, le juge Southcott n’a pas jugé nécessaire de traiter d’autres facteurs que le défaut par la ministre de considérer les représentations de Pomeroy’s quant à ses difficultés financières et à sa capacité de payer sa dette de TVH.

Les conséquences de cette décision

Sans aucun doute, les contribuables éprouvent une certaine incompréhension relativement à l’idée selon laquelle un remboursement d’impôt peut être perdu s’ils ne produisent pas une déclaration de revenus dans les trois ans. L’incompréhension augmente lorsque le gouvernement refuse de restituer ce que le contribuable estime être son argent pour le paiement de dettes fiscales lorsque cet argent ne peut leur être légalement remboursé sous forme de remboursement d’impôt.

La décision du juge Southcott n’est pas fondée sur ces critiques, mais plutôt sur des principes de droit administratif qui s’appliquent à la mise en œuvre de toute forme de discrétion ministérielle.  Malgré le fait que la politique de l’ARC prévoit qu’il peut y avoir certaines situations ne comportant pas des circonstances extraordinaires dans le cadre desquelles un recours en vertu de l’article 221.2 sera justifié, il est clair que l’Agence du revenu du Canada ne peut circonscrire l’analyse menant aux décisions en vertu de l’article 221.2 de Loi de l’impôt sur le revenu à une enquête à savoir si des « circonstances extraordinaires » ont fait en sorte que le contribuable ait été incapable de produire une déclaration de revenus avant le moment où un remboursement devient prescrit. Bien que la présence de circonstances extraordinaires serait manifestement un facteur positif pour le contribuable, la Cour a conclu qu’il est inacceptable que cet élément soit établi comme exigence unique dans le cadre d’un recours en vertu de l’article 221.2.

Pomeroy’s Masonry est la deuxième cause cette année dans laquelle un refus par l’ARC d’une demande d’un contribuable en vertu de l’article 221.2 de Loi de l’impôt sur le revenu a été annulé par la Cour fédérale à la suite d’une demande de contrôle judiciaire.  Dans Cybernius Medical Ltd. v.  Canada (Attorney General), la Cour fédérale a annulé un refus par la ministre du Revenu national d’accorder la demande du contribuable de restituer près de 600 000 $ de remboursements prescrits dans son compte d’impôt sur le revenu et de les appliquer aux arrérages dans son compte de taxe sur la masse salariale. Rendant jugement en faveur du contribuable, la Cour a indiqué qu’il était déraisonnable pour la ministre de ne pas utiliser sa discrétion en vue de restituer les sommes en vertu de l’article 221.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu afin de percevoir de la dette fiscale dans le compte de taxes sur la masse salariale en utilisant le crédit d’impôt disponible. La juge McVeigh a déclaré qu’il serait contraire à l’objectif de la Loi de l’impôt sur le revenu pour la ministre de refuser la demande, surtout compte tenu de l’importance des déductions à la source statutaires en vertu d’autres lois du Parlement.

Dans les décisions Cybernius et Pomeroy’s Masonry, il est accepté par la Cour que le paiement de dettes fiscales constitue une partie importante de l’objectif de l’article 221.2. Il  sera intéressant de voir si ces décisions auront comme résultat d’inciter l’ARC à revoir ses politiques administratives.

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